Un beau TP d’hiver
Alors bien sûr, on préfère avoir chaud… Alors bien sûr, il est plus agréable de prendre des notes quand il ne fait pas froid, quand le soleil réchauffe le corps et les mains et qu’une douce chaleur nous envahit. Mais être forestier, c’est être au contact de la forêt à toutes les saisons et même en hiver, lorsque le froid descend sur la cime des arbres, lorsque le givre vient figer la ronce, lorsque tout se tait comme mise en sourdine par le gel, lorsque le soleil est au plus bas et ne parvient même plus à dominer les houppiers.
Cet hiver qui pour le forestier est pourtant une belle saison car dans ce froid, il va y voir l’arrêt du cycle de reproduction de l’Ips Typographe qui aura fait tant de dégât cet été. Dans cette fraîcheur salutaire, il va y voir la période de dormance nécessaire pour que les graines germent au printemps et assurent le renouvellement de la forêt. Dans ce givre déposé ça et là, il va voir la ronce se réduire et permettre la dominance des plants qui, alors à la lumière, reprendront de plus belle au printemps. Dans ce début d’hiver, il va espérer le gel encore plus, celui qui figera les sols et permettra une exploitation respectueuse de l’écosystème, sans dégâts ni ornières. Et puis, parce que le forestier est sans doute un peu un rêveur ; un être à part qui pense le temps en dizaine d’années ou en siècle ; un être qui passe plus de temps à regarder le ciel en marchant qu’à regarder ses pieds pour déceler les qualités d’un arbre dans son houppier ; un être sensible à la beauté de la sylve, il va voir dans l’hiver, non pas une saison morte, mais un écosystème au repos, apaisé dans un équilibre magique.
Alors bien sûr, aux étudiants, il faut parler technique, diagnostic stationnel ou bien dendrométrie. Mais en les emmenant en forêt et sur le terrain à toutes les saisons, il faut aussi leurs transmettre cela, cette beauté de la forêt qui fait qu’on la respecte, cette magie de la sylve qui donne juste envie d’y être, ce plaisir d’être là, d’agir pour demain et juste en se sentant bien. Car oui, c’est cela qu’il ne faut jamais perdre, sensation de l’enfant qui rêve face à l’arbre qui lui paraît si grand, bien être insoupçonné de l’ado se promenant, les questions s’apaisant enveloppées dans les branches , bonheur de l’adulte et d’une promenade à deux, les mains qui se lient parfois même pour la vie sous la voûte des arbres comme une cathédrale. De ce joli décor, les forestiers en font le plus beau des bureaux et cet émerveillant ne doit jamais se perdre car c’est lui qui nous tient, toujours et qui rend le métier si beau et pardonne souvent tous les désagréments d’une vie professionnelle.
Car il suffit alors d’observer ce rayon de soleil percé à l’horizon ; cette feuille gelée brillée de milles perles le temps d’une heure ou deux ; cette lumière qui soudain, pénètre le sous-bois pour en révéler la vie et juste les détails ; le souffle de nos vies s’exprimer dans une douce fumée et monter vers le ciel ; le rêve naître ici dans le froid de l’hiver et le silence des arbres qui écoutent, regardent, protègent sans jamais nous juger ; et encore tous ces troncs qui reflètent chaque instant les couleurs de la saison ou du soleil couchant ; et pour finir la lune qui se lèvent doucement dans ce crépuscule si doux, dessinées par les ombres et de jolies pastels. Les couleurs rapidement vont finir par s’éteindre, et bientôt tout ne sera plus que des formes mais la forêt sera là, encore et toujours comme un beau lieu de travail, comme un beau lieu de vie, comme un beau lieu de rêve, comme un beau lieu de trève.
Ce jour-là et la semaine dernière, à Thorens, nous étions là, au milieu, juste témoin de tout cela et j’espère que les étudiants, ces futurs forestiers l’auront ressenti comme moi. La magie de l’instant, la chance d’assister, encore à tout cela, l’émerveillement toujours comme première motivation pour juste être en forêt, et la passion bien sûr pour s’inscrire plus loin encore dans la maîtrise technique et à la hauteur de ces arbres centenaires.
Bref, ce n’était qu’un TP, un de plus, juste un TP d’hiver… Mais derrière cette magie que nous a offert, encore, la forêt ce jour-là, ce fut un beau moment, d’échange et de partage, de formation et d’apprentissage, de silence et d’ivresse, mais surtout de passion et d’amour pour ce monde des arbres qui, sans rien nous demander, nous offre si souvent ce merveilleux spectacle de la beauté du monde…
Sylvestre Vernier, co-responsable du BTSA Gestion forestière temps plein